Le coût du carbone : les entreprises suisses l’ont-elles intégré dans leur plan financier ?
- Alexandra L.

- Sep 12
- 3 min read

Contexte
La Suisse s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec une taxe CO₂ déjà fixée à CHF 120/t sur les combustibles fossiles. En Europe, l’EU-ETS a vu le prix du quota bondir de 18 €/t en 2020 à plus de 95 €/t en 2023 (+72 % par an en moyenne)¹. Dans ce contexte, la question centrale est la suivante : les entreprises suisses intègrent-elles réellement ce coût du carbone dans leurs plans financiers, et comment le mesurent-elles ?
Un enjeu comptable : du climat aux flux financiers
L’Autorité des marchés financiers (AMF) en France rappelle depuis plusieurs années que les tests de dépréciation d’actifs (IAS 36) doivent refléter les risques liés au climat et au carbone dans les flux de trésorerie futurs ou dans le taux d’actualisation¹. Cette exigence, encore peu appliquée en pratique, souligne une réalité :
Les coûts liés au carbone ne sont plus théoriques.
Ils doivent être intégrés directement dans les valorisations, les budgets et les décisions d’investissement.
Pour la Suisse, bien que la FINMA et le BAFU n’aient pas édicté de recommandations identiques à l’AMF, la logique est la même : une PME ou une multinationale qui ne chiffre pas l’impact du carbone prend un risque comptable et stratégique.
PME : charges subies, coûts invisibles
En pratique, une PME paie la taxe carbone intégrée dans sa facture énergétique, sans la traiter comme une ligne budgétaire stratégique. L’effet est double :
Le coût carbone reste invisible dans la planification.
Les arbitrages d’investissement (par exemple, isolation ou électrification) ne sont pas toujours évalués en fonction du prix implicite du carbone.
Or, dès lors que ce coût est projeté à la hausse, ne pas le modéliser revient à sous-estimer la pression sur la trésorerie future.
Intégrer le coût du carbone dans la planification financière, c’est transformer une contrainte en outil de gestion stratégique — et réduire le risque de dévalorisation future des actifs.
Multinationales : intégration progressive par le « prix interne du carbone »
Les grands groupes, notamment en Europe, utilisent de plus en plus un prix interne du carbone (entre CHF 50 et 150/t selon les entreprises) pour tester la rentabilité des projets d’investissement. Cela leur permet d’anticiper la hausse du prix réglementaire, mais aussi de respecter les obligations ESG.
La leçon de l’étude « Stress tests climatiques du CAC 40 – Exercice 2022 »¹ est claire : même dans les plus grandes entreprises, peu d’acteurs traduisent encore ce coût dans les tests de dépréciation d’actifs. Cela entraîne un double risque :
distribuer des dividendes avant d’avoir provisionné les « dommages climatiques » ;
différer la reconnaissance comptable des actifs échoués (stranded assets), qui perdent de la valeur bien plus tôt que prévu.
Du risque caché au risque visible
Les entreprises suisses, surtout les PME, ont encore du chemin à parcourir pour intégrer pleinement le coût du carbone dans leurs plans financiers. Là où les multinationales commencent à appliquer un prix interne du carbone, les PME restent majoritairement dans une logique réactive.
Pourtant, l’évolution rapide du prix du carbone (x5 en trois ans en Europe)¹ et le risque d’actifs échoués imposent de considérer le carbone comme une variable stratégique de la trésorerie, au même titre que les taux d’intérêt ou le coût de l’énergie.
Entreprises qui intègrent le coût du carbone | Entreprises qui ne l’intègrent pas |
✅ Utilisent un prix interne du carbone pour évaluer les projets (CHF 50–150/t). | ❌ Considèrent la taxe carbone comme une charge énergétique classique, sans suivi spécifique. |
✅ Intègrent le coût carbone dans les tests de dépréciation d’actifs (IAS 36). | ❌ Ne reflètent pas les risques climatiques dans les flux de trésorerie futurs. |
✅ Pratiquent des stress-tests carbone (scénarios prix bas/moyen/haut). | ❌ Sous-estiment la hausse future du coût du carbone. |
✅ Alignent leurs budgets d’investissement sur des trajectoires net-zéro. | ❌ Risquent des actifs échoués (stranded assets) non anticipés. |
✅ Améliorent leur image ESG et facilitent l’accès à des financements verts. | ❌ Risquent une perception négative des investisseurs et régulateurs. |
Référence
¹ Étude Stress tests climatiques du CAC 40 – Exercice 2022 : « Le coût du carbone et des impacts sur la biodiversité », section 1.1 et 1.2.

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